Publié le 21 octobre 2025 sur le blog d’Alternatives Economiques

Regrettant de ne pouvoir être présent au Forum mondial de l’économie sociale et solidaire (GSEF) cette année. Je souhaite néanmoins participer à travers 3 posts qui constituent une possible contribution à la réflexion collective. Cette série est composée de :

1 Au-delà de la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire, des futurs à débattre

2 Renouveler les théories de l’ESS par un dialogue international

3 Renforcer la solidarité interne : un enjeu pour les pratiques de l’ESS

Au début du XXIe siècle, plusieurs dizaines de pays de différents continents ont adopté des politiques publiques ou des lois manifestant une reconnaissance de cette ESS que les déclarations de l’OIT en 2019 et de l’ONU en 2023 ont confortée. La tâche des acteurs et des chercheurs face à cette reconnaissance inédite n’est pas de la célébrer naïvement mais d’exercer une vigilance sur la définition de l’ESS qui est retenue. Derrière le consensus apparent sur celle-ci se cachent des controverses sur l’interprétation qu’il convient d’en donner. Pour schématiser, trois scénarios prospectifs divergents se dégagent.

Le premier scénario qui prend une place grandissante amenant à interroger le contenu de la reconnaissance internationale de l’ESS est celui de la moralisation du capitalisme.  Loin de toute contestation la finalité est de compléter le système existant, qui a fait la preuve de son efficacité et de son efficience selon les promoteurs de cette option, par un capitalisme à but social ou un entrepreneuriat social. Se manifeste ainsi la conversion vertueuse des dirigeants économiques, désormais convaincus qu’ils doivent internaliser des finalités sociales ou environnementales. C’est une acception de l’ESS qui est fortement soutenue par certains gouvernements, médias et milieux économiques. Ils cherchent à l’implanter de façon volontariste en pratiquant une discrimination positive à son profit.

Le deuxième scénario est celui de l’activation de l’État-providence. Le social, domaine de l’État redistributif, voit ses moyens abondés par des ressources  économiques venues du marché afin de redonner de l’emploi à des chômeurs. L’ESS est largement confondue avec l’insertion, à la fois élargissement du champ d’intervention de l’État social et risque de constitution d’un sous-service public. Cette assimilation au traitement social du chômage amène à sa condamnation de la part d’analystes critiques de la dégradation des protections sociales dont elle serait le symptôme.

Le troisième scénario correspond à une démocratisation socio-économique au sens où il déborde la vision formelle de l’économie pour se réclamer d’une approche substantive[1]dans laquelle marché et redistribution ne sont pas les seuls principes économiques mais coexistent avec réciprocité et partage domestique. Quant à la démocratie, elle ne se limite pas à sa version représentative et les pratiques concernées œuvrent à l’introduction de formes participatives et délibératives. Présentes sur les territoires, elles sont toutefois grandement invisibilisées par les deux scénarios précédents, ce qui pose la question des alliances susceptibles de les visibiliser (avec les autorités publiques, avec des mouvements sociaux, …).

Ces scénarios peuvent être ainsi contrastés du point de vue de leur conception de l’économie, des alliances préconisées comme de leurs rapports entre science et action.

Ces scénarios prospectifs sont à préciser, affiner, approfondir. L’ESS reste composite et la réflexion collective sur son rôle est pour cette raison importante. Les trois trajectoires (outil de moralisation, secteur subsidiaire ou vecteur de bifurcation) évoquent des horions tout à fait différents. Le risque réactualisé d’une banalisation par les deux premiers scénarios suppose une critique des racines de ceux-ci autant qu’une mise en évidence des conditions nécessaires pour aller vers le troisième : elles concernent à la fois les registres théorique et pratique.

[1] Pour la définition de l’économie substantive voir le deuxième texte de cette série